Réflexion sur une proposition de loi interdisant le port de la cravate dans les lieux publics.

 

Pourquoi je propose une loi qui interdirait le port de la cravate dans les lieux publics? Avant de répondre à la question, laissez-moi tout d’ abord vous raconter une anecdote.

Lors d’une soirée avec quelques amis dans un restaurant, je fus témoin d’une scène qui, pour ne pas dire ordinaire, n’en est pas moins assez fréquente. En effet, que celui qui n’a jamais vu de personne s’étouffait en mangeant, aille plus souvent au cinéma. Pourquoi au cinéma, me diriez-vous avec ce petit rire suffisant qui ne confirme que l’évidence de ma bêtise, et bien je vous répondrai, qu’avant cette soirée, les rares fois où j’ai pu voir une personne s’étouffait lors d’un repas, ce fut au cinéma. Donc, ce fut la première fois que j’assistais à cette scène sans être assis sur un fauteuil devant un écran et avec un paquet de chips, ou de pop-corn si vous préférez. Sans être extraordinaire, ce détail n’en est pas moins important car n’étant plus un spectateur « passif », j’avais une possibilité d’agir et donc d’être acteur dans la scène. Le rêve de beaucoup d’enfants, vous savez « quand j’serai grand, j’serai acteur ».

Sauf que, être acteur dans la « vraie vie », n’est pas aussi simple que cela. Moteur, action et c’est parti, à une table voisine sur ma gauche, à dix heures, une personne de sexe masculin, assez corpulente, type caucasien, portant des lunettes de vue, crâne dégarni, cheveux gris, une cinquantaine d’années, costume italien trois pièces, avocat ou banquier, non là j’exagère (faut que j’arrête les Sherlock), bref  s’étouffe. Où est le scénario, où sont les dialogues? Je suis pris de panique, paralysé. Que faire, me dis-je? Comme au cinéma? Et si ça ne marche pas? La honte! Avant même de trouver réponse à mes questions, voilà qu’un des serveurs était déjà positionné derrière le pauvre malheureux entrain de suffoquer, pratiquant avec ses bras enlacés autour de l’abdomen, des mouvements de contraction jusqu’à la libération. Et ce fut un tonnerre d’applaudissement dans la salle révélant ainsi, grâce à sa bravoure et sa lucidité, le véritable héros de la scène, le serveur et ne me reléguant qu’à un minable rôle de figurant.

Et la cravate alors, quel rapport avec tout ça? Mais bon sang, mais c’est bien sûr… la cravate. Que dis-je ? Encore les séries, pardon. Effectivement, ce fut à ce moment-là, quand la « victime » remerciait chaleureusement son héros de lui avoir sauvé la vie, et pourquoi pas, que je vis le visage rubicond de cet avant-dernier. Oui, je me permets quelques souplesses, comprenne qui voudra. Et je remarquai que, tout en remerciant  le serveur, notre peau-rouge dénoua le nœud de sa cravate, déboutonna sa chemise et souffla de soulagement. Soulagement, n’étant que mon interprétation. Et c’est à cet instant que votre serviteur sorti de son minable rôle de figurant pour entrer en scène. En effet, intrigué par ce que je venais de voir, je posai trois questions au visage pâle, oui entre temps sa face avait retrouvé une couleur plus caucasienne. La première question n’était qu’une convenance ou une politesse, comme vous voulez. En effet, je lui demandai s’il se sentait mieux. Il me répondit par l’affirmative et me remerciât de l’intérêt que je lui portais. La deuxième question avait pour but de confirmer mon interprétation sur le soulagement. Il le fit. La troisième, de confirmer que le fait de dénouer sa cravate en était la cause. Il le fit également en ajoutant que le port des cravates lui était parfois insupportable. Je vous laisse imaginer le regard de mes amis si je n’avais pas posé la première question… Une fois les réponses à mes questions obtenues, commença alors  cette fameuse réflexion sur les cravates. Hou là, je vous vois venir, loin de moi l’idée que la cravate est la cause de l’étouffement, la preuve, on peut s’étouffer en mangeant tout en portant un tee-shirt, même XXXXXXX-L. La première chose qui m’avait intrigué, était que la victime dénoua sa cravate pendant qu’il remerciait le serveur et non pendant qu’il suffoquait. Il devait penser que la cravate n’était pas responsable de ce qui lui arrivait et n’eut donc pas jugé nécessaire de le faire. La deuxième chose était qu’il le fit pour être soulagé d’une forme d’ « oppression » autour de son cou. Et la troisième, qu’il m’avoua le côté inconfortable, voire insupportable selon ses propos, du port de la cravate. Ainsi, débuta ma réflexion par une première question.

Pourquoi porter une cravate? Avant de répondre à cette question, intéressons-nous tout d’abord au côté pratique de la chose. Hormis le fait que la cravate masque les boutons de la chemise, ce qu’avancent certains, je ne lui trouve rien d’utilitaire. A moins qu’il ne s’agisse d’une écharpe qui elle, bien qu’il ne soit pas nécessaire de la nouer, peut protéger du froid. La cravate ne protège pas du froid. Passons le côté pratique pour nous intéresser à ses origines.

C’est sous le règne de Louis XIII, en 1643, que fut constitué un régiment de cavalerie de l’armée française que Louis XIV nomma plus tard, la Royal-Cravate. Il était principalement composé de  mercenaires croates, qui se prononce « Hrvat » en croate, proche de « kravat » en français. D’où le nom. Leur particularité était, selon la légende, qu’ils portaient noué autour du cou le foulard de leurs bien-aimées quand ils partaient en guerre en guise de fidélité. Et là, un premier rapprochement s’impose. Serait-ce l’origine de l’expression « avoir la corde au cou », qui se dit d’un jeune marié qui promet fidélité et qui perdrait du cou, heu pardon du coup, une certaine liberté. Trop facile, direz-vous. Vous avez raison. Creusons encore. Selon une source qui m’est très proche et dont je tairai le nom pour des raisons, vous allez comprendre, si vous le voulez bien, de proximité, cette expression signifierait « être complètement à la merci de … ou être soumis à quelqu’un ». Toujours selon cette même source, et n’insistez pas, cette expression, daterait du XVème  siècle et ferait référence à l’histoire de la reddition des bourgeois de Calais qui se livrèrent à Edouard III en chemise, pieds nu et, vous l’aurez deviné, une corde au cou. Au fait, j’avais oublié de vous dire que mes amis, sans être les descendants de Diderot ou D’Alembert, n'en sont pas moins de véritables encyclopédies ambulantes. Ce qui explique pourquoi je les emmène  partout avec moi. Donc, nous y voilà. Point d’utilité pour cette cravate mais que de symbole. Et quel symbole ! La corde au cou du vaincu qui se soumet, ou celle du condamné, qui se rend vers la potence, avec parfois la corde déjà nouée autour de son cou, soumis à l’horrible idée de ne plus être. Rien que ça ! Malgré un infime et dernier espoir… que la corde casse ? Non ! Celui d’être gracié in-extremis avant d’être… sous la corde raide. Tiens donc, une autre expression ? Et là, y a plus d’mou, c’est terminé, basta, game over.

La cravate, un symbole de soumission ? J’exagère direz-vous, mais attendez la suite. La cravate fut d’abord un accessoire de coquetterie, de mode et parfois de classe… sociale.  En effet, on pouvait distinguer le rang social des personnes en fonction de leurs cravates. Pendant la révolution française, elle était même associée aux aristocrates, ce qui n’empêchait pas pour autant Robespierre d’en portait systématiquement. Mais c’est au début du 20ème siècle et grâce aux recherches sur la psychologie et la psychanalyse que la cravate va entrer dans son rôle le plus perfide et ce, de façon la plus sournoise, c’est-à-dire par l’inconscient. Le principal instigateur est Edward Louis Bernays, père de la propagande politique institutionnelle et de l’industrie des relations publiques, reconnu pour sa campagne "Les torches de la liberté" qui devait encourager les femmes à affirmer leur indépendance et leur modernité dans un seul but, pouvoir fumer. L’industrie du tabac en étant le commanditaire. Edward Bernays était aussi le neveu de Sigmund Freud, le psychanalyste. Et  ça, ce n’est pas qu’un détail. En effet, c’est en s’inspirant des travaux  de son oncle, inconnu du grand public à cette époque, et de ceux de Gustave Le Bon et Wilfred Trotter en psychologie qu’il mit au point des méthodes d’influence de l’inconscient afin de manipuler l’opinion publique. Il les mit à disposition des politiques, des personnes du showbiz ainsi qu’aux entreprises. Pour ce dernier cas, le but était d’augmenter la consommation de bien des ménages en s’adressant directement à l’inconscient du futur client. Je vous cite une phrase tirée d’un de ces livres, "The Engineering of Consent", de 1947 : « L'ingénierie du consentement est l'essence même de la démocratie, la liberté de persuader et de suggérer. » L'ingénierie du consentement ? Qu’est-ce donc ? En gros, faire en sorte qu’une personne agisse selon notre volonté, tout en lui faisant croire que c’est de son plein gré. Repensez aux femmes qui, pour affirmer leur indépendance et leur modernité, ce qu’elles croient, se sont mises à fumer, ce que voulaient les industries du tabac. Ces mêmes méthodes existent aujourd’hui dans les campagnes promotionnelles. Moins subtiles ou sournoises qu’à l’époque mais toutes aussi efficaces. Elles consistent à rabaisser d’une part la cible, en agissant sur son inconscient et sur l’estime de soi en particulier, pour que celle-ci devienne client de son plein gré. Exemple, une personne n’a pas le dernier téléphone portable à la mode, il est ringard ou il n’est pas dans le coup. Autre exemple, plus direct, elle n’a rien compris, vu que celle qui a déjà le produit a tout compris. Je sais, ce n’est pas facile.Ca s’appelle du marketing, un mot qu’on pourrait traduire  par : comment rendre indispensable, ce qui n’est pas nécessaire. Vous l’aurez compris Edward Bernays, ce maître dans l’art de manipuler, savait comment asservir une personne en agissant directement sur l’inconscient, sans que cette même personne ne s’en rende compte, consciemment, et agira donc avec, ce qu’elle croit, son consentement.

 Pour revenir à notre cravate, car c’est de cela qu’il s’agit, certains grands dirigeants avides de pouvoir l’ont imposé à leurs « sujets » afin d’asseoir leur autorité. Exemple, les « men in blue », vous connaissez ? C’était comme cela que l’on appelait les employés de la célèbre firme américaine IBM. Le très autoritaire Thomas J. Watson, dirigeant de la société de 1914 à 1956, imposa à ses employés une tenue stricte, bleu sombre avec port de la cravate obligatoire. D’où le surnom. Un autre exemple, J.Edgar Houver dirigeant lui, du FBI de 1924 jusqu’à sa mort en 1978 en fit de même avec ses sujets, pardon ses agents. L’imposition du port de la cravate s’est généralisée dans toutes les organisations où le principe de hiérarchie est de rigueur comme l’administration ou les milieux financiers. Il ne s’agit ni plus ni moins que de soumettre les employés à l’autorité faute de pouvoir imposer un uniforme comme dans les milieux militaires ou certaines grandes écoles. Je vous imagine, à ce moment de la lecture, un peu perplexe et je vous comprends. Vous vous demandez en quoi le port de la cravate soumet l’individu à l’autorité. Et bien là, je fais appel à votre mémoire. J’ai fait le rapprochement entre la cravate et la corde nouée autour du coup du condamné à mort en début d’exposé, et même si vous ne faites pas l’association, sachez que votre inconscient le fait, lui. C’est comme quand vous demandez à une personne de dire plusieurs fois « blanc » et que subitement, vous lui demandiez de vous dire ce que boit la vache. Elle vous répondra dans la plus grande majorité des cas, du lait. C’est l’inconscient qui, associant le mot « vache » et « blanc » d’une part et sous l’effet de la pression à répondre immédiatement d’autre part, pousse la personne à répondre « du lait ». Ne sous-estimez donc pas le pouvoir de l’inconscient. Imaginez maintenant, un employé de la Société Générale ou autre, devant sa glace le matin, nouant sa cravate avant d’aller travailler. Sans s’en rendre compte, il est en position de soumission car l’inconscient a déjà associé l’accessoire noué autour du coup avec les images de condamnés à mort sur la potence. Son attitude sera donc guidée par le même inconscient. L’employé devient plus docile, serviable, obéissant. Faites le test vous-même ou plus simplement, posez la question suivante aux personnes de votre entourage qui portent le costume cravate : « Comment vous sentez-vous en costume cravate ? » Vous serez surpris des réponses. Parmi les réponses vous aurez, « j’ai l’impression de marcher plus droit » ou « je me tiens mieux à table » , pourquoi croyez-vous qu’on l’impose dans certains restaurants chics, qui confirment qu’un véritable changement de posture et d’attitude apparait, involontairement, par le simple port de cette cravate. L’employé se laisse guider par une autorité invisible, un peu comme le chien par son maître au moyen d’une laisse. Tiens, un autre accessoire, que l’inconscient ne manquera pas d’associer à la cravate. Je vous rappelle tout de même, que la cravate est aussi un accessoire de mode qui se porte de façon volontaire et dans ce cas point de soumission. Mais c’est lorsqu’elle est imposée, qu’elle devient accessoire d’asservissement. Mais, faute de pouvoir rendre obligatoire le port de la cravate, parfois incompatible avec le code du travail ou les conventions collectives, les employeurs ont inventé le dresscode. Un code vestimentaire non-écrit, vous devinez pourquoi, transmis à l’oral d’employeur à employé. Et s’il vous arrivait d’oublier de la porter un jour, on ne manquera pas de vous le rappeler comme dans cette société, Carrefour. En effet, un gage est prévu pour les têtes en l’air : porter la cravate maison, bleu flashy, orné d’un logo blanc « le mois carrefour ». Dans ce cas, c’est par l’humiliation qu’on l’impose. Certaines entreprises n’ont pas hésité à l’écrire et l’ont très vite regretté. Exemple de cette société d’ambulance qui avait licencié un employé pour de multiples raisons dont le refus de porter une cravate. Voici un extrait du pourvoi en cour d’appel, dans le lequel j’ai surligné les passages concernant le code vestimentaire :

Audience publique du mardi 19 mai 1998
N° de pourvoi: 96-41123

« Sur le premier moyen :

Attendu que la société E******** fait grief à l'arrêt attaqué (Orléans, 4 janvier 1996) d'avoir dit que la disposition du règlement intérieur imposant pour le personnel ambulancier le port obligatoire d'une cravate et précisant "pas de jeans ni de baskets" constituait une atteinte aux dispositions de l'article L. 122-35 du Code du travail, alors, selon le moyen, que l'article L. 122-35 du Code du travail dispose que le règlement intérieur ne peut contenir de clause contraire aux dispositions des conventions collectives;

Que la cour d'appel, qui a retenu que M. X... ne s'était pas conformé aux dispositions du règlement intérieur, sans pour autant rechercher si les critères d'application de l'article L. 122-35 du Code du travail étaient réunis, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;

Mais attendu que la cour d'appel a constaté que la disposition du règlement intérieur était plus exigeante que celles de la convention collective prévoyant pour le personnel ambulancier une tenue soignée et le port obligatoire d'une blouse blanche;

Qu’ayant relevé que le règlement intérieur comportait des restrictions aux libertés individuelles qui n'étaient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, la cour d'appel a fait une exacte application du texte précité;

Que le moyen n'est pas fondé. »…

 

Vous auriez pu penser, qu’imposer le port de la cravate à un ambulancier n’a aucun sens, mais après cette lecture vous comprenez que oui, pour ceux qui « savent », l’imposition à un sens, celui de soumettre, d’asservir.

Avant de conclure, je ne peux vous laisser sans vous donner une lueur d’espoir. La voici. Une prise de conscience a déjà eu lieu. Elle nous vient des Etats-Unis, pays des libertés. Ça commence en Californie, fin des années 1990 à 2000, quand des informaticiens ont créé le Casual Friday, s’autorisant le « droit », étonnant, de ne pas porter la cravate le vendredi. Jusque-là, c’est sympa, se révolter contre des créatifs tels que Bill Gates ou Steve Jobs reconnaissons-le, il n’y a pas de quoi en faire une fête nationale. Mais quand il s’agit d’hommes, plus courageux, qui décident d’exporter ce mouvement vers la côte-est contre le conformisme de Wall-Street, incarné par les Morgan, Goldmann ou Rothschild, ce n’est plus une révolte mais une fronde. En témoigne le cas de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, et l’entrée en bourse de sa société en mai 2012. Lors de la rencontre à WallStreet entre les financiers et M. Zuckerberg, c’est la tenue vestimentaire de ce dernier, sweat à capuche, qualifiée d’excentrique, prétentieuse voire provocatrice, qui créa la polémique. Je vous laisse juger de l’ambiance avec ce commentaire de Michael Patcher, analyste chez Wedbush Securities, sur la chaine de télévision Bloomberg, à propos du jeune « geek » : « En le portant, il montre aux investisseurs qu'il ne se soucie pas trop de ce qui se passe et qu'il va continuer d'être ainsi. Il doit leur montrer le respect qu'ils méritent car il demande leur argent. » Le respect de l’autorité, c’est ça ? En portant une cravate ? CQFD. A ces braves hommes, tels les « insurgés », se révoltant pour leur liberté et indépendance, accompagnés du français Lafayette, contre l’oppression de l’empire britannique au XVIIIème siècle, qui se battent aujourd’hui, pour le droit de ne pas porter la cravate, symbole de soumission, d’asservissement,  je leurs rends hommage.

Pour conclure, sachez que le conformisme est à notre époque, ce que fut l’obscurantisme à celle des Lumières, et c’est donc aux noms de ces derniers ainsi qu’au nom des droits de l’homme à être libre, que je propose une loi interdisant le port de la cravate dans les lieux publics.

 

                                                                                                                                                                                                                                K.S

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